Bilguissa Diallo

Mali, entre la junte et les djihadistes
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Les médias du monde ont vu apparaître ce visage sur leurs Une il y a quinze jour. C'est celui de Mariam Cissé, une jeune malienne dans sa vingtaine qui avait pris l'habitude de publier des vidéos sur Tiktok où elle était suivie par plus de 100.000 personnes. Elle documentait son quotidien à Tonka, village de la région de Tombouctou sous occupation des djihadistes qui se disputent le contrôle de la région avec les forces armées officielles d'Assimi Goïta, chef malien de la junte au pouvoir. Mariam affichait régulièrement son soutien des forces armées, en portant parfois un treillis devant la caméra. Cette activité lui a été fatale le vendredi 7 novembre dernier, alors qu'elle était sur la place du centrale de sa ville. Les membres de la junte l'ayant remarquée l'ont accusée d'espionnage au service du pouvoir "officiel" et sans aucune forme de jugement ou de procès, l'ont exécutée sur la place publique.
Un événement d'une violence symbolique et concrète rare, qui stupéfait autant qu'il horrifie. Il dit aussi la puissance et l'implacabilité de ces djihadistes dont la présence progresse au point de mettre en péril la capitale, qu'il parvient même à asphyxier en la coupant de son approvisionnement de carburant.
Les femmes des régions en question sont sommées de porter le voile et les habitants courent quotidiennement le risque d'être assassinés parce que suspectés d'être pro junte. D'autre part, lorsque les forces loyalistes atteignent les zones de combat, les locaux sont également suspectés pour leur potentielle collaboration avec les terroristes.
Une situation inextricable à laquelle est confrontée toute l'Afrique de l'Ouest désormais .
Cet avènement du djihadisme a également provoqué la venue au pouvoir de juntes qui justifient leurs coups d'état par la prétendue incapacité des pouvoirs précédents à freiner et stopper la progression des djihadistes (Niger, Burkina Faso...). Seulement dans tous les cas auxquels nous assistons, ces juntes se montrent tout aussi inefficaces dans la poursuite de leur mission, mais ne se déjugent jamais en rendant le pouvoir qu'elles avaient pourtant promis de remettre au civil. On ne parlera pas des cas où les coups d'état ont lieu sans danger terroriste.
Au milieu de ce chaos, une seule chose demeure ; la quête frénétique du pouvoir par des hommes qui utilisent tous les prétextes pour justifier leur soif de diriger et d'accumuler. Qu'il s'agisse de chef militaires issus des corps armés dits loyalistes, ou des gens qui cèdent au prétexte fallacieux de la religion pour imposer leur présence et leur violence, aucun des deux camps ne manque de s'emparer des ressources, de brutaliser les opposants et même le commun des mortels, de s'attaquer aux corps des femmes bien souvent, de saisir les terres également et de liquider les droits fondamentaux.
Des vies entières sont brisées par ces égoïstes qui cherchent des prétextes à leur avidité maladive. Ils utilisent également la force de l'image, une sorte de marketing moderne véhiculé par les réseaux sociaux, leur permettant de recruter ou de gagner l'assentiment d'une partie de la population.
Derrière ces drames qui font l'objet de reportages ou de pages dans les journaux internationaux, je pense aux individus, à ces vies dévastées ou contraintes. Comment se projeter dans un tel chaos... quelle issue trouver pour survivre à défaut de vivre ? Quelle place pour ces gens dans ce monde où des décisions prises à Paris ou au Caire auront un impact sur Bamako et Tombouctou pour les décennies suivantes (je fais référence à la décision de Sarkozy neutraliser Kadhafi, où encore au développement progressif du djihadisme à la fin du 20e siècle). Tout cela provoque des exils, des pécules abandonnées à la hâte, des reconfigurations de régions ou de pays entiers. Ces spasmes impactent le monde, sa géographie humaine, avec des conséquences qu'on ne mesure pas tout de suite.
Cet événement m'a rappelé le livre de Mohamed Mbougar Sarr paru en 2015, "Terre Ceinte", qui dépeignait le quotidien d'un territoire, le Sumal, pris au piège des djihadistes, et les conséquences de ce nouveau régime sur cette société africaine. Il démarrait avec l'exécution d'un couple illégitime.
Le parallélisme des situations montre à quel point la littérature aide à comprendre le monde et ce qui se joue sur le champ intime et personnel, avant d'aboutir aux drames auxquels nous assistons.
Voilà pourquoi lire pour penser le monde demeure important, afin de cultiver une capacité de compréhension, une lucidité politique et un esprit de résistance face à l'absurde et à la violence des temps que nous vivons actuellement. Ainsi, lorsqu'on démissionne devant l'arbitraire d'un pouvoir, qu'il soit politique ou religieux, il faut se souvenir du visage de cette jeune fille qui ne faisait que filmer son quotidien, et qui a payé de sa vie pour la stupidité et la violence des hommes. Céder face aux abus de pouvoir, c'est laisser la main à ce genre d'assassins.





