Bilguissa Diallo

Transhumances, un roman en phase avec l’actualité politique africaine
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Hello à vous,
Transhumances est sur les étagères des libraires depuis une dizaine de jours et je m’étais jurée de démarrer une série d’articles de blog à cette occasion. C’est une manière pour moi de renouer avec le métier de journaliste que j’ai exercé quelques années et qui m’habite encore, bien que je ne le pratique plus. Alors je vais me faire plaisir, et commenter l’actu sans contrainte éditoriale, parce que cela se fait sur mon propre espace, et ça a du bon. Cela permet d’échanger des idées pour comprendre ou questionner le monde, et c’est bien à ça que servent les auteurs et les journalistes.
La rédaction initiale de Transhumances s’est terminée en 2020, à la fin du Covid. Son écriture s’est faite en plusieurs étapes. Au départ, le récit était construit autour d’un couple dysfonctionnel dont la femme était une Africaine qui émigre en France pour rejoindre son mari, un jeune homme issu de la diaspora, qui n’a donc pas grandi dans son pays d’origine. Mais après qu’une éditrice m’ait dit que le texte était très intéressant mais qu’il y manquait une dimension car trop intime, j’ai décidé de renouer avec les thèmes politiques et historiques que j’affectionne particulièrement. J’ai donc cherché à être plus fidèle à cette voix intérieure, à ces thèmes qui me sont chers (les identités façonnées par le cours de l’Histoire).
Le drame du 28 septembre 2009 en Guinée est un événement qui m’a grandement choquée par le nombre de victimes lors de sa survenue (157 morts, 109 femmes violées et 1500 blessées). Je savais que j’écrirai un jour sur ce fait, parce qu’il est spectaculaire et qu’il est le produit d’un climat politique perturbé depuis trop longtemps dans mon pays d’origine. Une fois cela dit, l’angle qui m’intéresse n’est pas de documenter historiquement un fait, mais d’imaginer l’impact de l’Histoire sur des existences. La fiction est un formidable outil pour faire comprendre ce qui se joue dans des vies bien réelles.
C’est donc comme cela qu’est né le cadre romanesque de Transhumances. Je ne me doutais pas que la réalité allait rencontrer la fiction a posteriori puisque sa version finale a été achevée en 2021 .
Par quel biais ? Mon personnage principal se nomme Adama, c’est un activiste guinéen des droits de l’homme. Il a l’audace d’aspirer à vivre dans un pays africain démocratique, où la population pourrait élire de manière consciente, le candidat le mieux à même de conduire le destin collectif du pays. Ce rêve va lui coûter assez cher. Je ne vous en dis pas plus et vous laisse découvrir comment dans le roman. Cela dit, aujourd’hui en 2025, deux activistes guinéens ont disparu depuis plus de six mois parce qu’ils étaient critiques du pouvoir en place (Billo Bah et Foniké Mengué), les principaux journaux du pays sont muselés ou mis au pas, et les opposants poussés à la fuite. L’actuel chef d'état, qui a conquis son siège par putsch, semble revenir sur sa promesse de rendre le pouvoir aux civils et s’apprête à se présenter aux élections prochaines, comme Moussa Dadis Camara en 2009 (également putschiste et candidat improvisé, mon personnage Adama se dresse contre cet événement qui a eu lieu dans la réalité). Et ce n’est pas un cas isolé. Une actualité similaire a lieu dans toute l’Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Mali, Niger).
Et ces derniers jours, un de ces présidents issus des rangs de l’armée reçoit une vague de louanges sur toute la toile. Il s’agit du jeune et fringant capitaine Ibrahim Traoré, qui a pris le pouvoir au Burkina Faso en 2022. Il reprochait à son prédécesseur, et autre militaire putschiste, de ne pas être suffisamment efficace dans sa lutte contre le terrorisme. Il promettait au départ, de régler le problème en douze mois et de rendre le pouvoir après avoir traité les problèmes logistiques du pays. Trois ans plus tard, il n’en est rien et bien évidemment, le vertueux capitaine s’est transformé en jeune leader de la nation, homme providentiel qui pourfend le colonialisme, démasque les complots et promet de mener le pays vers la dignité.
C’est beau sur le papier… seulement si on n’a pas lu, ou pas étudié l’histoire des décolonisations et donc déjà entendu ce genre de refrain qui rappelle étrangement les régimes marxistes africains de parti unique. Loin de parvenir à ses objectifs affichés, Ibrahim Traoré mobilise par son discours anti-occidental, la référence régulière à Thomas Sankara (dont nul ne sait comment son régime aurait tourné avec le temps), et un vernis panafricaniste. On pourrait lui offrir le bénéfice du doute si les voix de l’opposition n’étaient pas muselées. Chez son voisin malien ou au Niger, même programme. Une junte qui s’accroche au pouvoir, suspend les partis politiques et tisse des liens avec la Russie. Une tendance qui séduit les panafricains qui, souvent à l’abri au sein des démocraties du Nord, pourfendent le néo-colonialisme (à juste titre), sans partager les mêmes risques que les jeunes africains qui subissent ces juntes. Si la critique de la colonisation semble évidente et légitime, elle ne justifie pas l’absence d'analyse constructive des régimes africains, dont les plus rusés ont compris qu’il suffit d’afficher un semblant de défi aux occidentaux pour gagner l’assentiment des masses et anesthésier leur objectivité. Ils peuvent ensuite faire taire les voix internes qui exigent des dirigeants africains de l’éthique, la pluralité du débat et le respect des populations administrées.
Aussi, je trouve particulièrement manichéen, dangereux et limite raciste de considérer que les aspirations à la démocratie ne valent que pour les pays occidentaux et que les Africains sont faits pour être dirigés par des despotes plus ou moins éclairés. Ce postulat conduit à se tirer une balle dans le pied et à adopter une sorte de syndrome de Stockholm, lors duquel on loue celui qui tient en otage le destin de toute une Nation. Ce n’est pas parce que le dirigeant est un Noir fier qu’il peut s’arroger le droit de décider de tout dans un pays où vivent des millions d’âmes. Prendre comme excuse la supposée et facile accusation de complot des pays occidentaux pour excuser tous les comportements de ces dirigeants, assure à ces pays un asservissement qui promet de durer. Cette excuse est bien trop souvent proférée par des gens qui ne vivent pas dans le pays en question et qui ne subissent pas les effets directs de ces régimes en place. Les prédateurs peuvent avoir de nombreux visages, et l’appétit pour le pouvoir ne vient pas toujours dans le costume d’un vieil homme blanc à la tête d’une multinationale ou d’un état impérialiste. Parfois, ce prédateur peut ressembler à un jeune homme en treillis qui commence à trouver que le pouvoir est agréable et que les ressources nationales et leur produit, peuvent tout aussi bien transiter par un compte off-shore auquel il a un accès privilégié. Bref, vouloir s'affranchir de l'emprise du lion ne suppose pas que vous soyez obligés de vous rejeter dans la gueule du loup, qui protège rarement le poulailler. Dans les deux cas, ça ne finit pas bien.
Tout cela pour dire que je ne pensais pas que les aspirations de mon personnage Adama pour la Guinée de 2009, résonnerait autant avec celles des activistes africains d’aujourd’hui, qu’on entend si peu parce qu’ils croupissent dans des geôles, et que des hackers russes donnent probablement de l’élan aux discours complotistes et anti-occident des juntes qui veulent avant tout continuer d’exister, coûte que coûte ! Cette convergence d’intérêt entre deux prédateurs ne profitera jamais au peuple à qui je prédis à contrecoeur qu’il continuera de se faire spolier, avec son consentement non éclairé. Il aura juste changé de maître ;)
A bon entendeur… salut, et bonne lecture !
Bilguissa